L'article précédent --consacré à la topographie des réseaux (Inside Internet, Avril 2000)-- a exploré la structuration de l'information et sa relation au concept d'espace à travers la cartographie des réseaux et des données qui y transitent ou y résident. Le thème des graphical user interfaces (GUI) questionne en revanche les actions/interactions possibles à l'intérieur de cette structure de l'information et sa transposition sous forme visuelle et graphique. Mettre les GUI en perspective équivaut donc à examiner une architecture de l'information permettant d'identifier la manière qu'a cette architecture de façonner l'espace d'information ainsi que les interactions qu'elle génère avec ce même espace.
" mon intention a été de souligner les changements se produisant dans les systèmes, de systèmes fondés sur l'objet à des systèmes fondés sur le code, et d'identifier les effets saturants que les nouveaux langages globaux ont sur notre perception du territoire et du monde sociale. En fait tout le principe repose sur l'idée de faire fusionner le concept d'espace réel (la terre comme objet et plus précisément l'architecture comme objet) avec les codes bidimensionnels des technologies digitales et des systèmes graphiques de signes..."
Neil Denari, in "Interrupted projections, another global surface", p.47
Tout système graphique de codes peut être rapproché du système de l'objet (l'architecture) dont il vise à rendre (voire à construire) la nature, les spécificités, le fonctionnement... Ce faisant, les deux systèmes s'affirment d'abord et avant tout en tant que dispositifs fonctionnels et sémantiques. De plus, sous l'influence grandissante des nouvelles technologies digitales de communication, leurs codes propres évoluent de plus en plus vers un langage global.
Si l'on admet que l'architecture en tant qu'objet est un système organisé de signes qui intègre des paramètres fonctionnels et sémantiques de manière structurée, sa définition en tant que discipline la prédestine à jouer un rôle actif dans la production et l'examen de l'information. A l'exemple des styles esthétiques qui ont chacun développé leur propre cadre de référence, l'architecture exprime la fonction et la signification de l'espace à travers des codes établis. Ceux-ci servent à traduire des aspects culturels ou fonctionnels, ainsi que la conception de l'organisation spatiale. A ce titre, une approche de type " architecturale " permet alors à l'observateur de poser un regard plus large sur les GUI dans la mesure où il parvient à y déceler des logiques d'organisation de l'information qui mettent en parallèle les données et leurs représentations spatiales possibles sur la surface plane de l'écran. Aller plus avant sur cette voie analytique imposerait d'expliquer au préalable le rapport entre la métaphore de l'objet représenté et la structure même de l'information. Un tel travail apparaît évidemment impossible dans le cadre restreint de cet article aussi nous allons nous limiter à quelques éléments de l'historique des GUI.
On constate sans peine que les premières interfaces graphiques de l'ère des ordinateurs se limitaient à la représentation unidimensionnelle de lignes de commande où entraient en jeu non seulement un vocabulaire écrit hautement codifié tant dans son orthographe que dans l'articulation de ses unités de sens mais aussi un ensemble de règles syntaxiques incontournables pour des langages particuliers. Les interfaces graphiques héritées des 'mainframes' et que le DOS a perpétué jusqu'à la fin des années 80 en fournissent une bonne illustration. La ligne de commande apparaît comme un principe d'organisation du rapport à la machine et à l'information qu'elle gère. Aux yeux de l'utilisateur, la machine est ce langage qui lui permet d'accéder au moteur de traitement. Hermétique à souhait pour les non-initiés, le code d'organisation de l'information reflétait une conception de l'informatique comme un ensemble opaque de relations entre des objets matériels encore mystérieux (le hardware) et des données répondant à des modèles obscurs de structuration. L'intérêt pour le traitement informatisé des données portait l'utilisateur à devoir " entrer " dans la machine afin d'en saisir le dispositif et d'en éclairer les arcanes internes. Le graphisme unidimensionnel de l'interface visuelle constituait à la fois un voile masquant la simplicité basilaire du traitement de données réduites à de simples suites de 0 et de 1, mais aussi, et paradoxalement, alimentait l'utilisateur averti en indices sur les mécanismes internes de la machine ainsi que sur ses états internes.
En 1984, la première interface graphique du Macintosh fait littéralement exploser le rapport consolidé entre une codification unidimensionnelle de représentation de l'accès aux données contenues dans la machine et la machine elle-même. La simulation graphique d'un bureau sur l'écran introduit non pas tant une seconde dimension à la géométrie de l'interaction homme-machine mais essentiellement une manière révolutionnaire d'appliquer des métaphores spatiales aux concepts (encore abstraits pour la plupart des utilisateurs) de fichiers-données et de programmes exécutables. Le Mac OS abolissait d'un seul coup tout espace obscur où l'utilisateur devait auparavant se plonger pour atteindre les entrailles de la CPU, de l'operating system ou des softwares. Avec les OS graphiques, le langage propre au fonctionnement correct du couple machine-programme se trouvait relégué en second plan au profit d'une expérience visuelle axée sur la métaphore et la simulation d'objets. Le déplacement d'une fonction à l'autre n'imposait plus à l'utilisateur la connaissance d'un langage spécifique mais la maîtrise d'une géographie simplifiée qui s'affichait en toute transparence sur son écran. Ce type de GUI que le Macintosh a inauguré pour le grand public remplaçait donc l'hermétisme des interfaces logiques par une appréhension plus intuitive de l'espace métaphorique du bureau qui s'affichait sur l'écran. Cette représentation de l'information s'est imposée comme un modèle universel au dépends de tout autre forme d'association que celle d'un espace fonctionnel et bureautique. Mais Depuis le développement des réseaux et d'Internet, l'augmentation des modes et des fonctions de communication entre machines et utilisateurs ou entre utilisateurs a élargit cette conception des G.U.I. à une conception développée non plus autour d'un code mais autour d'un véritable langage propre à ce médium.
Dans un processus de communication, les interfaces conditionnent les modes d'échange et d'accès à l'information non seulement par l'utilisation de codes particuliers mais aussi par leur fonctionnement ou la manière dont elles traduisent et affichent l'information. A l'instar de tout système de communication, les Information & Communication Technologies déterminent un canal de transmission (signal-médium), un message (information) et un code ou un langage. Ces langages dont les constituants graphiques ont pour référent un objet, un schéma, une action ou leurs différentes combinaisons (la corbeille comme objet mais également comme fonction 'supprimer') influencent la compréhension et la signification de l'information. Par contre la spécificité de l'information digitale (notamment son instabilité), la réduction de tout système complexe sous forme de code binaire et la prédominance de l'écran comme vecteur de présentation et de représentation ont généré un vocabulaire graphique exploitant des codes dont la convention n'est pas exclusivement empruntée au monde des objets. En effet dans le médium électronique, la programmation d'outils de traitement de l'information passe par la conception d'interfaces software qui utilisent à la fois des modèles de structuration des contenus et des codes de représentation graphique. Ces codes et ces modèles associés à la programmation de fonctions contribuent à établir un rapport d'interaction entre un utilisateur et la machine. Comme dans la publicité où l'utilisation de codes expressifs fait appel à la participation, les G.U.I intègrent dans leur conception la notion d'interactivité. Mais alors que la publicité sollicite plus ou moins subrepticement des instincts compulsifs pour vendre, les G.U.I doivent déployer un vocabulaire spécifique pour arriver à rendre perceptible un monde où l'information n'est composée que de chiffres binaires et où les actions que l'on peut y réaliser impliquent l'activation de programmes basés sur des algorithmes logiques et des processus mathématiques. Comme interface entre un utilisateur et l'information, les G.U.I. génèrent des relations fondées sur le principe qu'à une action correspond une réaction. Le lien qui unit ces actions/réactions à leur représentation graphiques met en évidence l'existence d'un langage qui leur est propre.
En associant un concept et une action à une représentation graphique, elles établissent les bases d'un système de signes original, à savoir un langage performatif qui établit un lien entre d'une part l'expression de nouveaux concepts et de perceptions et d'autre part des actions propres à un environnement virtuel. Dans le cas du médium électronique, ce langage performatif constitue simultanément l'action et son expression visuelle, il exprime simultanément le conceptuel et l'interactif. Grâce à ce rapport mutuel entre l'action et la réaction, l'utilisateur est prolongé dans un espace digital dont la performativité dépend de la cohérence qui existe entre la structure de l'information et la codification de son architecture. En suivant cette logique, la sélection des différents sites propose de découvrir des architectures de l'information qui suggèrent des systèmes performatifs à travers leurs propres représentations graphiques.
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Icon town : http://www.icontown.de
La transposition directe du système d'organisation le 'desktop', sous forme d'icônes architecturales propose une visualisation de l'information prenant la forme d'une ville. La référence aux systèmes d'organisation urbains pour les systèmes d'organisation de l'information est devenu un modèle récurrent dans le W.W.W. La représentation axonométrique de la ville et sa schématisation sous forme d'icônes permet l'adaptation de son modèle sur l'Internet. L'application présentée sur le site permet à chaque utilisateur de crée sa propre représentation, son icône et renforce de cette manière l'idée d'interactivité et de participation à une collectivité. Cette référence à la ville est également présente sur le site de noodlebox (http://www.amaze.co.uk/noodlebox/window.html) dans lequel les différentes icônes représentant des bâtiments peuvent être déplacer sur l'écran dans les trois dimensions de manière à créer de configurations particulières. Ces différentes icônes contiennent chacune des informations spécifiques permettant d'accéder à un jeu interactif.
ex-machina : http://www.exmachina.be
Le cube traduit la structure du site web composée de 6 rubriques, rattachées chacune à une face du cube. Cet objet agit comme un système d'orientation renforcé par un code de couleur. La transposition de l'objet en système de navigation privilégie la visualisation de la structure générale d'organisation. Le mode d'emploi se présente sous forme d'un cube déplié, permettant d'accentuer l'idée du passage de l'objet à une représentation bidimensionnelle de l'écran.
Fork : http://www.fork.de/v33/airbridge/index.htm
Le site de designer propose de découvrir, sous la rubrique air-bridge, des expériences de systèmes de structuration de données tridimensionnelle (java 3D), L'application 'luft' fait référence à un survol d'information, dans lequel les différents paramètres de navigation permettent à l'utilisateur de se repérer dans cet espace structuré. Leurs expériences faites sur de l'interactivité à travers la création de jeux sur l'Internet (voir fork -games) les a amenés à explorer de nouveaux types d'interfaces. Les différents systèmes se réfèrent dans la majeure partie aux moyens de transport et à la mobilité, associant le déplacement à l'infra_structure, comme structure de l'information.
io360 : http://hotwired.lycos.com/rgb/io360/texture/index.html
Quatre systèmes de navigation basés sur la texture, l'altitude, l'histoire et le texte interagissent les uns par rapport aux autres en fonctions des manipulations de l'utilisateur. A travers la visualisation et la manipulation de la structure de l'information l'utilisateur assemble les composants d'une histoire. L'interface est un bon exemple de système de navigation reliant des paramètres structurels d'organisation avec sa transposition graphique.
rg/a : http://www.rga.com
Le nom du groupe de designer reprend l'idée du code de lumière RGB (red, green, blue) et opère comme un système d'indication des différentes rubriques du site web qui elles-mêmes sont organisées d'une manière multicouche. Le passage d'une grille à l'autre à l'intérieur de chaque rubrique suggère un espace fluide et infini, comme métaphore de l'espace électronique, proche de celui des premières fictions du cyberespace.
Move : http://www.movedesign.com
Les différents systèmes de navigation transposent directement le nom du bureau de graphiste 'move' dans le mode de visualisation et d'interaction. Le visiteur est constamment amené à 'se déplacer' à travers l'espace multicouche et dynamique de l'information pour consulter les différents travaux présentés par les graphistes.
C3 : http://www.c3.hu/collection/form
Le Site d'artistes hongrois se positionne de manière critique par rapport à l'Internet dont ils exploitent la matière. Les travaux qu'ils développent se basent sur une esthétique des navigateurs empruntée aux interfaces logicielles. Le travail « form » présente des écrans surchargés de fenêtres de formulaires. Le groupe belge JODI exploite de la même manière ce langage faisant référence à ordinateur dans un jeu action/réaction, simulant des virus ou allant jusqu'à réellement planter le système d'exploitation.
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Metalab02 History Navigator (requires the Adobe Flash Player 8+).