Liberation 10-12-2012 - LAb[au]


Ososphère prend de la bouteille
Libération 10.12.2012

article by:
Marie Lechner

article about:
Ososphere festival 2012

mention:
LAb[au]'s participation:
binary waves, cybernetic urban installation
SignalToNoise, kinetic sound art installation

article:
Ososphère prend de la bouteille

Arts numériques . Le festival strasbourgois investit pour sa 13e édition les bâtiments de la Coop, réanimant l'ancienne Cave à vin avec une quarantaine d'installations. C'est un visage méconnu de Strasbourg que révèle le festival Ososphère, celui d'une ville industrielle et portuaire, aux antipodes de son pittoresque marché de Noël aux 2 millions de visiteurs, de sa cathédrale et de ses colombages éclairés par des dizaines de kilomètres de guirlandes. Le festival nomade dédié à la musique et aux arts numériques invite cette année encore à faire un pas de côté, en se frottant au paysage rugueux du Port du Rhin. A l'horizon gris neigeux, bordant une splendide darse, se profilent les grues du terminal conteneurs et les Grands Moulins de Strasbourg. En face de la malterie, nappée d'épaisses fumées, le site de la Coop que l'Ososphère «habite» jusqu'à dimanche.

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Bien que peu éloigné du centre, le quartier reste à l'écart, relié à la ville par une seule ligne de bus. «Les gens ne passent pas le pont. La ville tourne le dos à ce qui est pourtant le deuxième port fluvial français, déplore Thierry Danet, directeur du festival.Nous souhaitons faire découvrir ce site magnifique qui mérite d'être conservé.» Logée dans une demi-lune, la Coop aligne une jolie collection de bâtiments industriels, entrepôts, ateliers, cuveries. La coopérative de consommation, avec son enseigne centenaire familière à tout Alsacien, est en train d'abandonner le site périclitant, fondé en 1911 autour d'une boulangerie, dont survit la cheminée de briques rouges. Plombé par les dettes et la récente incarcération de son ex-PDG soupçonné d'avoir détourné près de 1,4 million d'euros, l'enseigne disparaît petit à petit du paysage, à force de réorganisation, restructuration et licenciement. «Ici, on produisait aussi du vin, de la limonade, des pâtes, du fromage», explique Marc, l'un des 17 boulangers encore actifs sur les 100 qui y travaillaient. La boulangerie, elle aussi en sursis, «fermera dans trois mois», déplore-t-il en nous glissant un paquet de gâteaux industriels : «En souvenir !»

Monumental. L'Ososphère occupe pour sa 13e édition la spectaculaire Cave à vin, où l'on embouteillait jusqu'à 200 000 bouteilles par jour au plus fort de l'activité. En 2006, le vin acheminé par wagons entiers a cessé de couler dans le chai dessiné par Adolphe Schulé, mais la quarantaine d'installations qui s'y déploient refait palpiter le monumental manoir industriel.

Dès l'entrée, le cliquetis familier des panneaux d'affichage à rouleaux, revisités par LAb[au] dans Signal to Noise, est une invitation au voyage, comme les paraboles suspendues de Locus Sonus qui diffusent en temps réel des flux sonores enregistrés aux quatre coins de la planète, relayés par Internet, infusant le monde extérieur dans les parois suintantes et glacées. Lorsqu'on longe l'installation subtilement interactive d'Aurélien Vernhes-Lermusiaux, le passage furtif de notre ombre sur les ruines a un effet réparateur : les carreaux brisés se recomposent, les fissures s'estompent... Baume numérique sur les plaies économiques, le parcours transforme la bâtisse désaffectée en usine à rêves.

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Les oeuvres, minimales voire subliminales, dialoguent avec l'architecture et l'histoire du lieu, en le projetant à l'ère de l'information. Jean François Laporte fait gronder la salle de contrôle carrelée de bleu, parcourue de conduits reliés aux 148 cuves, comme si des flots déchaînés s'apprêtaient à la submerger... Les jeux d'ombre et de lumière balaient le lieu fantomatique, telles ces architectures lumineuses et sonores d'Etienne Rey qui réagissent à la présence du visiteur, ou le petit train de Ryota Kuwakubo qui, doté d'une lampe LED, projette les ombres mouvantes d'objets triviaux transfigurés sur les murs, dans une atmosphère mystérieuse.

Il faut parfois revêtir des lunettes - à réalité augmentée, stéréoscopiques ou anaglyphes - pour découvrir ou déchiffrer des paysages ou couches d'informations invisibles à l'oeuil nu. Au milieu des colonnades de béton, les robots industriels se transforment en peintres et croquent votre portrait, quand ils ne rédigent pas des manifestes.

«Ce n'est pas vraiment une exposition, mais une situation qu'on crée avec les oeuvres, un récit choral avec des installations qui ont leur propre logique. Il fallait aussi proposer quelque chose à la mesure de l'espace», reconnaît Danet, qui chiffre la manifestation à 1 million d'euros. Ce qui tient parfois de la gageure. «Jeu de Miroir». «Il ne faut pas lutter, mais travailler avec l'architecture», précise Manuel Abendroth, du collectif LAb[au], qui a déployé 40 panneaux pivotants le long de la ligne de production. Les panneaux lumineux qui réfléchissent l'activité électromagnétique ondoient en conversation avec ce superbe élément architectural qu'est l'étonnante verrière en accordéon, laissant voir les cheminées de la malterie. «La façade est remarquable, elle fait comme une vague, et le soir, l'installation s'y reflète à l'infini par un jeu de miroir.»

Outre les croisières sonores qui prendront les flots cette année depuis la Capitainerie du Port du Rhin, le lieu accueille des performances en semaine et se clôt ce week-end par les traditionnelles Nuits électroniques.

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Trois dancefloors déployés dans deux «Magic Mirrors», ainsi qu'au rez-de-chaussée du chai, dans une atmosphère qui devrait évoquer les free parties d'antan. En attendant une hypothétique réaffectation du lieu (lire ci-dessus). «La particularité, c'est qu'il ne s'agit pas d'une friche industrielle, l'entreprise existe encore dans un port en pleine activité. On s'imagine ici pour plusieurs années», dit Thierry Danet, qui caresse le rêve d'y implanter durablement un laboratoire des cultures émergentes, à la fois salle de concert et lieu de production artistique.

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