Libération ( Liberation )
French daily newspaper
special issue about Belgium
in the section: Multimédia
under the title: 'Pixels sur Bruxelles'
article by Marie Lechner
27.11.2007
featuring:
Touch, interactive urban illumination Brussels' Dexia Tower
Pixels sur Bruxelles
Bruxelles, un Berlin miniature ? Les habitants de la capitale belge, enclave francophone en communauté flamande, n'hésitent pas à faire le parallèle avec la bohème allemande : l'offre culturelle y est pléthorique, les microstructures artistiques y foisonnent, les festivals pointus s'y succèdent. Après Radiophonic, consacré à la création «post-radiophonique» le mois dernier, se tenait ce week-end la sixième édition de Cimatics consacrée aux performances audiovisuelles et, jusqu'au 2 décembre, le dixième Jonctions/Verbindingen, qui scrute les nouvelles technologies sous un angle politique. «De nombreux artistes et chercheurs viennent s'installer ici, c'est au milieu de tout, l'immobilier dans le centre-ville n'est pas encore trop cher et la scène culturelle est très active», note Yves Bernard, responsable d'iMAL, Centre des cultures et technologies numériques qui vient d'inaugurer ses nouveaux locaux, 600 m2 situés dans un ancien entrepôt en plein coeur de Bruxelles, qu'il partage avec deux autres laboratoires voués aux cultures digitales, Okno et Foam.
Même constat chez LAb[au], qui a ouvert en 2003 son Mediaruimte, lieu expérimental sis rue de
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Laeken, où les trois membres travaillent à leurs créations à la frontière du design, de l'urbanisme, de l'architecture et de l'art numérique, tout en accueillant des conférences, expositions, concerts de musique électronique, comme ce soir les performances audiovisuelles de Blevin Blectum et de Synchronator. «Bruxelles fourmille d'initiatives très spécialisées. Plein de petits wagons, mais pas de grosses locomotives», constate Manuel Abendroth de LAb[au].
Si Berlin a sa tour de télévision, Bruxelles possède désormais elle aussi son phare, visible à la ronde. Ce qui, la journée, ressemble à un vulgaire immeuble de bureaux, construit sur la défunte tour Martini, utopie d'une architecture multifonctionnelle, se métamorphose à la nuit tombée. Les 4 200 fenêtres de la tour Dexia - la deuxième plus haute de la ville avec ses 145 mètres - s'illuminent comme autant de pixels. Chaque fenêtre de ce bâtiment, propriété d'une banque, est équipée d'un ensemble de diodes électroluminescentes, émettant de la lumière colorée et transformant les façades en écrans géants et en surface d'exposition.
Le dispositif est investi par LAb[au] qui travaille à un éclairage artistique permanent de la tour avec leur projet au long cours, Who's Afraid of Red Green and Blue, cycle de six variations lumineuses déclinées sur l'année. La première transformait la tour en horloge graphique, visualisant le temps qui passe, la deuxième, en place actuellement, permet de savoir le temps qu'il fera le lendemain, le choix des couleurs étant dicté par les prévisions météo. «C'est une étape vers la tour Lumière Cybernétique telle qu'en rêvait Nicolas Schöffer», estime Manuel Abendroth.
Le collectif invite régulièrement des artistes à intervenir sur la tour. Le week-end dernier, les façades de verre ont scintillé au rythme des animations lumineuses de Limitazero, Holger Lippmann et Olaf Bender, créées pour la dernière Nuit blanche bruxelloise et reprises à l'occasion du festival Cimatics qui tenait sa sixième édition au Beursschouwburg.
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Confort d'écoute. Consacré à l'origine au VJing (pendant visuel du DJ), Cimatics émerge dans le contexte de la culture club toujours très vivace en Belgique. Le festival a dépassé le simple mix d'images destiné à euphoriser le dance floor. Désormais, il se concentre sur les performances audiovisuelles, espaces de dialogues entre le son et l'image, et privilégie le confort d'écoute du public, vissé dans les fauteuils du théâtre. «Aujourd'hui, l'audiovisuel est ubiquiste, notre environnement, tapissé d'écrans, expose Bram Crevits, l'un des organisateurs. Nous souhaitions donner aux artistes l'opportunité de développer leur propre langage audiovisuel, faire office de plate-forme expérimentale sans renoncer à la fête, c'est pourquoi on présente des oeuvres à la fois dans le contexte du club et d'un théâtre.» Les spectateurs hypnotisés en oublient souvent de danser, immergés dans ces musiques visuelles abstraites et synesthésiques. L'obsédant Static Room, expérience sensorielle proposée par Scott Arford, où c'est le signal vidéo qui génère le son, agit physiquement sur le spectateur qu'il fait vibrer avec ses fréquences et ses couleurs clignotantes. La performance de la star de la soirée, Ryoichi Kurokawa, efficace composition jouant sur la synchronisation des sons et des compositions visuelles, récolte des applaudissements nourris.
Entités. Cependant qu'on s'étourdissait d'images à Cimatics, à quelques pas de là, à la Bellone, Manu Luksch projetait son film de science-fiction Faceless, produit exclusivement avec des images capturées par des caméras de vidéosurveillance. L'artiste était invitée par Jonctions qui se penche cette année sur les «empreintes dans les champs électr(on)iques». Organisé par l'association Constant, qui oeuvre aux intersections du féminisme, de la technologie digitale, du copyleft et du logiciel libre, Jonctions se préoccupe de ces profils et informations privées qu'on laisse sur les réseaux sociaux. Entités désincarnées qui s'expriment aussi métaphoriquement dans les installations sonores fantomatiques hantant la cour de la Bellone, coiffée d'un toit en verre.
Ces «E-traces» font l'objet d'un jeu en ligne dont l'élaboration est prétexte à des conférences et ateliers publics. Avec Yoogle !, Michel Cleempoel et Nicolas Malevé analysent les mécanismes
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économiques à l'oeuvre derrière les séduisantes interfaces du Web 2.0. «Le problème, c'est que le Web 2.0 est un réservoir de données dormantes qui peuvent être activées. C'est la collaboration des gens à leur propre contrôle», estiment les artistes qui constatent que l'on va «vers une transparence absolue des utilisateurs, tandis que l'opacité des entreprises ne cesse de croître». Constant fait partie d'un réseau dense et varié de laboratoires artistiques (Nadine, Recyclart, Foam.) spécificité flamande, qui permettent d'expérimenter, de chercher, de préparer des prototypes, sans impératif de production.
Plongée. Côté francophone, la scène numérique se résume à Transcultures, au CECN à Mons et à iMAL. Yves Bernard se réjouit que l'art numérique soit enfin pris en compte depuis 2006 avec la création d'une commission dédiée, même si l'aide financière reste très inférieure à celle consentie par les Flamands. Dans les locaux, on croise Yacine Sebti, l'un des artistes soutenus par la structure, dont l'installation interactive, Salt Lake, une plongée dans l'enfer médiatique, vient d'être présentée à Almost Cinema, au Vooruit à Gand.
Lieu de travail, d'exposition et de rencontres, iMAL veut brasser les différents milieux artistique, scientifique et technique et s'apprête à accueillir, le 18 décembre, la première session bruxelloise du Dorkbot, rassemblement de «gens qui font des choses bizarres avec l'électricité».
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